AMOUR CONJUGAL
Inspiré par le verger de Port-Royal des champs
Du fruitier d’autrefois nous cueillons les citrons
Aux bosquets d’au-delà nous prendrons des soleils
Que demain comme hier débordent nos corbeilles
Le jus et les rayons éclaboussent nos fronts
Dieu planta le jardin où nous demeurerons
Hier nous y surprit dans nos premiers réveils
Demain commencera lorsqu’au dernier sommeil
Paraîtra tendrement ce qu’après nous serons
Les cédrats sont gonflés et la lune est mature
Le ciel est enchanté, vois par-dessus les murs
L’espace en expansion, les fruits en giration
La lumière et le goût des sucres éternels
Ruissellent sur nos joues au faîte des échelles
Et le verger la nuit devient constellation
Ligne 8 : Cf 1 Jean 3:2
De Laurent Chaix de Lavarène
DE PORT ROYAL-DES CHAMPS
LOUIS fait crever la voûte et concasser la tuile,
Eventrer le pré doux où les mères dormaient,
Enfouir sous la charrue la colonne à jamais
Et verser dans la boue le don des saintes huiles.
Entre les habitants des châteaux et des bouges
Effarés par les corps et leur odeur de fleurs,
On conduit les chariots d’ébène et de soie rouge
Où des soldats tremblants ont déposé les soeurs.
Leurs membres sont intacts, les bienheureux cadavres
Dans l’église à Magny trouvent leur dernier havre,
Ces filles de Citeaux et leur mère Angélique
Qui glosa le Cantique et décrivit l’Epoux.
Marchez légèrement sur ces vieilles reliques,
Le sang au dernier jour reviendra dans leur pouls.
Louis XIV fit détruire le monastère de fond en comble,
jusqu’à déterrer et transférer les restes des religieuses.
De Laurent Chaix de Lavarène
BLAISE PASCAL
La ténèbre et l’étoile ont possédé mon cœur
Dès que j’ai su penser et contempler minuit.
Renversé sous le ciel, j’entendis le grand bruit
Qu’y faisaient le silence et l’amour et la peur.
Un ange et le néant m’ont dit ce que je suis :
Un éclat éternel ou moins qu’une lueur.
Ma chute et ma grandeur montrent le rédempteur,
Lui seul peut relever de l’abîme de nuit.
Corps, tu fais mon angoisse ! Elle est sûre, ta mort.
Mais les mots lumineux dits par les météores
Te font joindre les mains dans un acte de foi.
J’ai cousu dans ma peau cette constellation
Et j’adore à genoux dans les larmes et la joie
L’aube de sang et feu de la résurrection.
Ligne 12 : cf le « mémorial » inséré dans les vêtements
De Laurent Chaix de Lavarène
ANDROMAQUE, ESTHER, BERENICE...
Hommage à Jean Racine
Andromaque captive au palais de Pyrrhus
Tient la main d’un enfant, implore le destin ;
Et Phèdre malheureuse à l’autel de Vénus
Brûle pour Hippolyte un encens incertain.
La chaste et pieuse Esther dans le lit d’Assuérus
S’efforce de sourire et cherche le matin ;
Tes pleurs, ô Bérénice, ont brouillé le lointain
De temples et de mer où disparaît Titus.
Sur les quais nimbés d’or que peignit Le Lorrain,
Je vois briller d’espoir vos yeux ultramarins
Dans les reflets des eaux et les rayons des dieux.
Et j’entends le vent doux dans les draps de couleur,
Et susurrer vos soies, et tressaillir vos coeurs
Sur les scènes de marbre où vous priez les cieux.
De Laurent Chaix de Lavarène
DEVANT UN CHRIST DE PHILIPPE DE CHAMPAIGNE
Je ne vois qu’une image et je cherche l’objet,
Le modèle et le vrai par-delà l’immanence
Des pigments, du génie, et de sa main qui pense
Mais pas plus que moi-même attrape le sujet.
La couleur est obscure et toute ressemblance
Se voit les yeux fermés. Si la beauté, d’un jet
Eblouit la rétine et se croit transcendance,
Le réel est un lent, improbable trajet
Dans la nuit mystérieuse où les dieux sont cachés.
Mais, déjà révélés, nous avons leurs visages,
Non faits d’une main d’homme et pourtant des images :
Deux paupières baissées, des coups, du sang séché ;
Une Indienne étoilée, ses mains, son front sereins ;
O cape à Mexico, ô linceul à Turin.
De Laurent Chaix de Lavarène